"Réflexions ouvertes sur la pratique du coaching individuel en entreprise libérée"

Date : 25/07/2018

Par Violaine Isaac

 

La pratique du coaching individuel en contexte d’entreprise libérée doit s’adapter aux particularités de ce système pour être à la fois performante et respectueuse de l’individu et du collectif.

 

Cadre du coaching.

 

Concernant les éléments du cadre du coaching, il nous apparait tout d’abord que le contrat tripartite n’a plus de sens puisque la personne dans son cheminement psychologique, s’est affranchie du regard d’un tiers supérieur sur son travail (ou est en chemin dans cette direction).

Une contractualisation bipartite paraît beaucoup plus adaptée, laissant une grande liberté de réflexion et de choix à la personne. Il est très productif également de rendre le bénéficiaire partie prenante dans l’élaboration du contrat : choix et formulation de l’objectif, nombre de séances, degré d’engagement (par exemple, inclure une clause sur la possibilité d’interrompre le coaching peut être pertinent dans certains cas).


Le coaching est proposé par l’organisation comme une ressource mise à disposition, dont la personne peut disposer librement. On est à l’opposé du coaching prescrit, même si implicitement il peut demeurer dans certains cas une forme de prescription cachée qui est à déceler.

 

Vécu du coaching.

 

Un travail sur le vécu du coaching peut être nécessaire, l’espace de liberté individuelle qu’il représente pouvant entrer en conflit avec la pression de conformité du groupe, et engendrer de la culpabilité chez le coaché (il s’agit pour ce dernier de s’autoriser cette liberté par rapport au groupe). Le budget payé par le collectif pour le coaching peut aussi être source de culpabilité chez la personne, par exemple en contexte de restriction.

 

Approches.

 

  • L’approche par le cadre, qui met à disposition et utilise un cadre propice à la libre expression, et reste peu interventionniste, semble particulièrement appropriée à l’esprit et aux valeurs du fonctionnement libéré. Elle favorise le développement du libre arbitre et l’avènement du sujet.
  • L’approche systémique est particulièrement efficace pour mettre au jour les paradoxes dans lesquels sont pris les personnes, en particulier lorsque la structure libérée se situe au sein d’un grand groupe : injonctions paradoxales entre liberté d’un côté, et directives de l’autre provenant de l’environnement hiérarchique ou du client.

 

Un autre type de paradoxe peut provenir de la manière dont a été mis en place le système libéré. S’il a été en partie décrété, il peut engendrer une injonction de type « soyez spontané », c’est-à-dire ici « soyez heureux puisque vous êtes en entreprise libérée ». Pris dans celui-ci les personnes peuvent s’interdire d’avoir des états d’âme et développer un masque social « heureux » ou encore avoir de la colère du fait d’être ainsi implicitement contraint. Un des membres du groupe peut aussi faire symptôme, révélant ainsi les dysfonctionnements du système qui ont été colmatés.

 

  • L’approche clinique apporte ce champ du travail identitaire (et elle n’est pas la seule), souvent opportun en contexte libéré dès que la question de la place se pose. Trouver sa place dans ce groupe à partir de la personne que l’on est et de ce que l’on veut, et plus seulement à partir d’une étiquette professionnelle donnée par l’organisation. Être de plus en plus « soi-même » au travail, - évolution induite par la disparition du jugement hiérarchique et par la permission donnée d’exercer son activité comme on le souhaite, - implique des remaniements identitaires. Cette libération convoque au même moment la question du sujet et du désir.

 

Le récit libre que le coaché fait de sa trajectoire, de ses choix, de son évolution depuis ses choix initiaux peut par exemple lui permettre d’actualiser la représentation qu’il a de lui-même au travail et dans la vie, de voir le chemin parcouru, ce qu’il est devenu, et de voir le sens que prend ce nouveau rôle en entreprise libérée dans sa vie. Ce récit va le conduire à revisiter son identité professionnelle et personnelle, à travers un questionnement intérieur qui va émerger :

 

« Dans ma vie professionnelle j’ai toujours voulu être…, essayer de… J’ai fais ces choix passés parce qu’ils avaient un tel sens… Avec cette expérience j’étais devenu… ». Aujourd’hui, qu’est-ce que représente ce chemin en entreprise libérée dans ma trajectoire ? est-ce que cet environnement c’est fait pour moi ? De quelle manière je me sens exister sans le regard et la protection du système hiérarchique ?

Quel rôle ai-je envie de jouer dans cette petite société ? est-ce que je trouve ma place par rapport aux personnalités environnantes ? est-ce que je m’autorise à prendre de moi-même une vraie place, alors que je n’y suis plus contraint par une autorité hiérarchique ?

De quelle façon évolue ma façon d’être en relation avec les autres ? Est-ce que je parviens à ne plus être en « position haute » au travail alors que j’ai toujours occupé cette position dans ma famille et au travail ? …

 

La liberté en tant que sujet désirant reste un trajet difficile pour l’être humain. La perte de la protection du cadre hiérarchique et d’une organisation figée peut aussi être dé-sécurisante.

 

  • Quelle que soit l’approche, la prudence semble être de mise dans l’intervention : le groupe libéré fonctionnant de manière organique et affective, il peut rapidement faire caisse de résonance aux ressentis et représentations de l’un de ses membres.

 

En outre, les « parois symboliques » du cadre du coaching peuvent sembler perméables ou poreuses, et vouloir tendre à disparaitre, comme à l’intérieur du système libéré dans lequel il n’y a plus de cloisons. Le coaché peut par exemple se mettre à communiquer beaucoup sur son coaching auprès de son entourage, rapporter les commentaires de l’environnement sur le coaching dans l’espace du coaching, etc.. L’intimité peut devenir quelque chose à protéger en système libéré (une protection du coaché en la matière peut-être : « vous n’êtes pas obligé d’en parler, c’est un espace pour vous, notre travail se fait dans la confidentialité »….

 

Enfin dernière particularité relevée qui impacte l’approche du coaching, le fonctionnement du groupe, ses valeurs, ses ressentis, peuvent être fortement intériorisés par la personne qui se sent porteuse en elle de cette expérience humaine. Elle est fortement traversée par le collectif. Cela peut-être un long chemin que de faire le tri en elle entre ce qui est propre au groupe et ce qui lui appartient, et de se définir.

 

Problématiques particulières de l’entreprise libérée.

 

Le passage en mode libéré permet de concrétiser des potentialités considérables. L’ « empowerment » qui est transmis à chacun peut conduire l’individu à se révéler, à se découvrir autre, à la fois dans ses prises d’initiative et dans sa relation aux autres. Le mode libéré induit une transformation profonde du type de lien social au sein du collectif, à partir des valeurs de confiance et de liberté.


Cependant la transition vers ce fonctionnement peut être difficile, à la fois individuellement et collectivement, et c’est en coaching que les problématiques se posent. Nous listons ci-dessous celles relevées jusqu’alors :

 

  • Pour le dirigeant, celle du rapport au pouvoir: laisser le pouvoir de l’autre incarné par l’équipe s’exprimer ; prendre ce risque ; laisser de côté son égo ; lâcher prise par rapport au besoin de maîtrise. Également un cheminement identitaire autour du « leader que je deviens en entreprise libérée ». « Quelles sont les pertes pour moi ? qu’est-ce que j’investis différemment ? ».
  • Pour certaines personnes se pose la question de «comment se passer de signes de reconnaissance parentaux ». Le thème de l’abandon peut être sous-jacent une fois qu’il n’y a plus de regard hiérarchique. Par manque de reconnaissance des comportements « Enfant rebelle » peuvent s’exprimer pour se sentir exister. Ce point rejoint la question de la place, comme évoqué dans le paragraphe « Approches ».
  • La question du cadre : « Comment fonctionner avec moins de cadre (besoin de structure) et moins de limites protectrices ?» Le manque de cadre peut en effet occasionner des débordements :
  • Charge de travail très excessive, non régulée,
  • Leaderships de personnes qui deviennent envahissants ou inhibant,
  • Agressivité forte non contenue,
  • L’absence de limites peut générer de la culpabilité : « si je travaille moins que mes collègues je ne joue pas le jeu, c’est pas bien ».
  • Sous stress, l’expression des drivers de chacun, sans cadre contenant, peut devenir dissonante (à moins que le groupe, dans ses instances de régulation, ne parvienne à réguler cela). Ex : j’exprime mon « Sois Parfait » à l’extrême et personne n’ose me dire que c’est du temps perdu pour le groupe et que je m’épuise dans cette voie ».

 

  • Accepter de ne plus être en lead quand on l’a été, et inventer une nouvelle forme de leadership au sein du collectif, dans l’interdépendance.

 

  • Le temps nécessaire pour s’autoriser à sortir du cadre : utiliser la liberté d’horaires, modifier la répartition du travail, travailler ailleurs selon les jours, etc…, sont des libertés qui peuvent ne pas se prendre pendant plusieurs mois, les fonctionnements anciens restant en place.

 

  • Thème de l’autonomie : comment accepter l’interdépendance et l’engagement fort pour le groupe, lorsque l’on a eu des fonctions très indépendantes par nature (commercial, formateur…). Cette perte de liberté est un paradoxe relié au terme « entreprise libérée »).

 

 

Un grand nombre de ces passages doivent être soutenus par des instances de régulation et de dialogue solides, à instaurer dès le départ au sein du collectif. Le coaching individuel et le coaching d’équipe seront également de puissants appuis à ces transitions.

 

Mais le levier le plus important réside dans la réflexion initiale que devra mener le groupe au départ de son cheminement, pour prendre la décision de passer en mode libéré. C’est dans ce moment fondateur que se joue en grande partie la réussite ultérieure. Il nécessite de prendre le temps du dialogue, sur plusieurs mois, pour faire émerger le désir véritable de tous de se lancer dans cette transformation, qui représente à la fois une opportunité et une prise de risque existentielles.