Par Violaine Isaac
La pratique du coaching individuel en contexte d’entreprise libérée doit s’adapter aux particularités de ce système pour être à la fois performante et respectueuse de l’individu et du collectif.
Concernant les éléments du cadre du coaching, il nous apparait tout d’abord que le contrat tripartite n’a plus de sens puisque la personne dans son cheminement psychologique, s’est affranchie du regard d’un tiers supérieur sur son travail (ou est en chemin dans cette direction).
Une contractualisation bipartite paraît beaucoup plus adaptée, laissant une grande liberté de réflexion et de choix à la personne. Il est très productif également de rendre le bénéficiaire partie prenante dans l’élaboration du contrat : choix et formulation de l’objectif, nombre de séances, degré d’engagement (par exemple, inclure une clause sur la possibilité d’interrompre le coaching peut être pertinent dans certains cas).
Le coaching est proposé par l’organisation comme une ressource mise à disposition, dont la personne peut disposer librement. On est à l’opposé du coaching prescrit, même si implicitement il peut demeurer dans certains cas une forme de prescription cachée qui est à déceler.
Un travail sur le vécu du coaching peut être nécessaire, l’espace de liberté individuelle qu’il représente pouvant entrer en conflit avec la pression de conformité du groupe, et engendrer de la culpabilité chez le coaché (il s’agit pour ce dernier de s’autoriser cette liberté par rapport au groupe). Le budget payé par le collectif pour le coaching peut aussi être source de culpabilité chez la personne, par exemple en contexte de restriction.
Un autre type de paradoxe peut provenir de la manière dont a été mis en place le système libéré. S’il a été en partie décrété, il peut engendrer une injonction de type « soyez spontané », c’est-à-dire ici « soyez heureux puisque vous êtes en entreprise libérée ». Pris dans celui-ci les personnes peuvent s’interdire d’avoir des états d’âme et développer un masque social « heureux » ou encore avoir de la colère du fait d’être ainsi implicitement contraint. Un des membres du groupe peut aussi faire symptôme, révélant ainsi les dysfonctionnements du système qui ont été colmatés.
Le récit libre que le coaché fait de sa trajectoire, de ses choix, de son évolution depuis ses choix initiaux peut par exemple lui permettre d’actualiser la représentation qu’il a de lui-même au travail et dans la vie, de voir le chemin parcouru, ce qu’il est devenu, et de voir le sens que prend ce nouveau rôle en entreprise libérée dans sa vie. Ce récit va le conduire à revisiter son identité professionnelle et personnelle, à travers un questionnement intérieur qui va émerger :
« Dans ma vie professionnelle j’ai toujours voulu être…, essayer de… J’ai fais ces choix passés parce qu’ils avaient un tel sens… Avec cette expérience j’étais devenu… ». Aujourd’hui, qu’est-ce que représente ce chemin en entreprise libérée dans ma trajectoire ? est-ce que cet environnement c’est fait pour moi ? De quelle manière je me sens exister sans le regard et la protection du système hiérarchique ?
Quel rôle ai-je envie de jouer dans cette petite société ? est-ce que je trouve ma place par rapport aux personnalités environnantes ? est-ce que je m’autorise à prendre de moi-même une vraie place, alors que je n’y suis plus contraint par une autorité hiérarchique ?
De quelle façon évolue ma façon d’être en relation avec les autres ? Est-ce que je parviens à ne plus être en « position haute » au travail alors que j’ai toujours occupé cette position dans ma famille et au travail ? …
La liberté en tant que sujet désirant reste un trajet difficile pour l’être humain. La perte de la protection du cadre hiérarchique et d’une organisation figée peut aussi être dé-sécurisante.
En outre, les « parois symboliques » du cadre du coaching peuvent sembler perméables ou poreuses, et vouloir tendre à disparaitre, comme à l’intérieur du système libéré dans lequel il n’y a plus de cloisons. Le coaché peut par exemple se mettre à communiquer beaucoup sur son coaching auprès de son entourage, rapporter les commentaires de l’environnement sur le coaching dans l’espace du coaching, etc.. L’intimité peut devenir quelque chose à protéger en système libéré (une protection du coaché en la matière peut-être : « vous n’êtes pas obligé d’en parler, c’est un espace pour vous, notre travail se fait dans la confidentialité »….
Enfin dernière particularité relevée qui impacte l’approche du coaching, le fonctionnement du groupe, ses valeurs, ses ressentis, peuvent être fortement intériorisés par la personne qui se sent porteuse en elle de cette expérience humaine. Elle est fortement traversée par le collectif. Cela peut-être un long chemin que de faire le tri en elle entre ce qui est propre au groupe et ce qui lui appartient, et de se définir.
Le passage en mode libéré permet de concrétiser des potentialités considérables. L’ « empowerment » qui est transmis à chacun peut conduire l’individu à se révéler, à se découvrir autre, à la fois dans ses prises d’initiative et dans sa relation aux autres. Le mode libéré induit une transformation profonde du type de lien social au sein du collectif, à partir des valeurs de confiance et de liberté.
Cependant la transition vers ce fonctionnement peut être difficile, à la fois individuellement et collectivement, et c’est en coaching que les problématiques se posent. Nous listons ci-dessous celles relevées jusqu’alors :
Un grand nombre de ces passages doivent être soutenus par des instances de régulation et de dialogue solides, à instaurer dès le départ au sein du collectif. Le coaching individuel et le coaching d’équipe seront également de puissants appuis à ces transitions.
Mais le levier le plus important réside dans la réflexion initiale que devra mener le groupe au départ de son cheminement, pour prendre la décision de passer en mode libéré. C’est dans ce moment fondateur que se joue en grande partie la réussite ultérieure. Il nécessite de prendre le temps du dialogue, sur plusieurs mois, pour faire émerger le désir véritable de tous de se lancer dans cette transformation, qui représente à la fois une opportunité et une prise de risque existentielles.